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Philippe Jaenada
Je ne reviens pas directement sur votre biographie qui est résumée sur
votre site. Comment écrivez vous, à quelle période de la journée? Vous
faut-il être dans une disposition spécifique pour écrire? Avez vous des
rituels ?
J'écris la nuit. C'est une habitude que j'ai prise à l'époque où je vivais
seul à Paris, entre, disons, 20 et 34 ans : n'ayant pas de travail fixe et
sortant pas mal le soir, je resté éveillé jusqu'à 6 ou 7 heures du matin,
et dormais la journée. Quand l'envie d'écrire est arrivée, tout
naturellement j'ai écrit la nuit, puisque je vivais la nuit. C'est devenu,
après trois romans, une habitude dont je ne peux plus me défaire. (Ce
n'est d'ailleurs pas seulement une histoire d'accoutumance, je pense :
c'est aussi parce que la nuit met dans des conditions de travail
d'écriture idéales, ça facilite l'isolement, la mise à l'écart, le décor
symbolise bien ce qu'il faut pour écrire : faire un petit saut à côté du
monde et de la vie, s'en détacher et s'enfermer momentanément dans une
parenthèse hors du temps (la nuit, le temps ne passe pas, il n'y a aucune
différence visible ou audible entre minuit et 5h30 du matin) pour en
rendre compte, du monde et de la vie. Comme un plongeur qui passerait
son temps dans les fonds marins : pour raconter ce qu'il a vu et
ressenti, il est obligé de remonter à la surface et de s'enfermer dans un
bureau, loin de l'eau, des poissons, des algues.) Donc voilà. Même avec
une femme et un enfant, même maintenant que je vis, en temps normal,
le jour, pour écrire je suis obligé d'inverser mon rythme : en période
d'écriture (disons sept ou huit mois tous les deux ans), je travaille
toutes les nuits, entre minuit et six heures.
Ce qui ne va pas sans quelques inconvénients familiaux...
La "disposition spécifique", pour certains non, pour moi. La nuit, donc,
pour aider à la concentration (si je ne suis pas profondément
concentré, je ne peux rien écrire de bon, or j'ai souvent du mal à me
concentrer profondément, donc ce qui m'entoure (rien) aide). J'ai aussi
besoin, pas de quoi être fier mais bon, d'une discipline quasi scolaire.
Ecrire toutes les nuits, sans exception, sans excuse, et toujours pile
entre minuit et six heures, quels que soient mon état, mon courage, mon
inspiration etc... Sinon, si je m'autorise quelques dérogations, c'est peu
à peu la dégringolade et je ne fais plus rien – je suis fainéant, et je
préfère vivre qu'écrire, donc je me faufile dans la moindre porte
entrouverte. Sinon, au chapitre "disposition", j'ai remarqué que mon
état importe peu. Que je sois fatigué, en pleine forme, triste, cafardeux
ou pimpant, j'écris à peu près les mêmes choses, de la même manière. En
revanche, pas une goutte d'alcool (j'adore ça, pourtant, et je ne me
prive pas dans la journée, ou dans les périodes où je n'écris pas) : un
seul verre de whisky et je me mets à écrire comme Marc Lévy ou
Alexandre Jardin.
Les rituels, oui, c'est du même ordre que la discipline quasi scolaire et
l'obligation d'écrire la nuit, c'est juste pour favoriser la
concentration, pour la mécaniser, pour qu'elle devienne un
automatisme, un réflexe – Pavlov rôde. Donc d'abord, il me faut
absolument une bougie, et sur la gauche de ma table (je sais, ça fait
vraiment plouc qui se la joue, mais bon, c'est comme ça). Ensuite, deux
cafés : un tout au début, quand je m'installe, ensuite je fais une partie
d'échecs contre l'ordinateur (je ne suis pas très fort) pendant environ
une heure, puis un deuxième café, et c'est au moment de la clope qui le
conclut que je commence à écrire, vers 1h, donc. En général, je ne
commence à bien écrire que vers 4h...
Qu'est-ce que vous aimez lire?
Ce que j'aime lire : en ce moment, beaucoup de polars, ou disons de
littérature américaine noire. J'ai découvert récemment Eddie Little
(deux livres, puis il est mort), qui m'éblouit littéralement, là je suis en
train de lire James Crumley. Chester Himes, Chandler, aussi. Sinon,
d'une manière plus générale, j'aime les livres qui reflètent les hommes,
qui me donnent envie de boire un coup avec l'auteur. Bukowski,
Brautigan, Dostoïevski, Carver, Romain Gary, Proust, Céline, Fitzgerald,
Manchette, Kafka, Modiano – rien de très original, quoi. (Que des mecs,
je me rends compte. Alors que dans la vie, je préfère, de loin, et pas
seulement pour leur cul, les femmes.)
Vous arrive t-il de vous sentir en marge (c'est une question que j'ai
très souvent posée à des personnes qui vivent sans domicile)? Si oui
est-ce que cela induit du ressentiment vis à vis de vos contemporains?
Je me sens complètement en marge, oui. Je le suis, d'ailleurs, pas
seulement psychologiquement, mais effectivement, socialement. J'ai le
sentiment de vivre à côté du monde, ou disons dans une bulle. Mais ça
n'induit pas de ressentiment à l'égard de mes contemporains, au
contraire. Je les regarde vivre, je les aime.
Est-ce que vous jubilez en écrivant?
Oh non. C'est une corvée. Sur un livre de 300 pages, je "jubile" (c'est un
grand mot) peut-être deux ou trois fois, sur deux ou trois phrases. Je
souris, disons. Dix minutes sur des centaines d'heures de travail. Le
reste du temps, je me concentre, je bosse, je peine, je doute, j'essaie
simplement d'avancer. De la façon la plus juste possible, la plus proche
de ce que j'ai à l'intérieur. Ce qui ne peut produire de la jubilation
qu'après coup, en relisant.
Faut-il souffrir pour écrire de belles choses (hum)?
Bien sûr. Pour écrire "de belles choses", il faut en avoir à l'intérieur. Il
faut être dense, chargé. Et le plaisir n'apporte pas ça. Le plaisir est
indispensable, vital (rien de meilleur), mais le plaisir est volatile – et
vite, n'existe qu'en souvenir. La frustration, le malheur, la souffrance,
les échecs et les déceptions, les regrets, la tristesse, laissent des
cicatrices, des pierres, de petites mares stagnantes, des plantes
bizarres, et avec le temps tout ça évolue, se mélange, se transforme,
crée de la matière à l'intérieur, une sorte de pâte, qu'il suffit ensuite
d'utiliser. Si je m'essaie à un peu d'introspection (ce que je ne fais pas
souvent), j'ai deux sortes de trucs dedans : des souvenirs agréables, et
quelque chose de plus consistant, épais, solide, qui est moi, et que mes
problèmes, frustrations, souffrances ont fabriqué. A chaque fois qu'il
m'arrive un sale truc, je sais que ça se transformera, à plus ou moins
long terme, en une bonne chose utile, qui sera une partie de moi. La
souffrance fait l'homme, comme la fermentation ou la moisissure font
le fromage (ce n'est pas très élégant, comme comparaison, mais bon). Et
comme je crois qu'il n'y a pas de bon livre sans bon homme derrière,
comme je n'ai jamais aimé un livre qui n'ait pas été écrit par quelqu'un
qui a souffert, d'une façon ou d'une autre (tout est relatif), il me
semble évident qu'il "faut" souffrir pour écrire de belles choses, oui.
Les gens qui n'ont pas beaucoup souffert sont comme les gens qui n'ont
jamais aimé, jamais lu un livre, jamais marché dans une forêt, jamais
pris une bonne cuite, jamais traîné sans but dans les rues d'une grande
ville : il leur manque beaucoup, ils n'ont vécu qu'un tout petit peu. On
ne peut raisonnablement pas leur demander d'écrire un beau livre. Pas
plus qu'à un enfant de dix ans.
Vous avez la télévision? Vous regardez quoi ?
J'ai la télé, oui. Je regarde plein de trucs, vraiment de tout : ça va des
vieux films de TCM à Columbo sur TV Breizh, en passant les docs sur
Planète et Koh Lanta, avec un détour par les histoires de crimes sur
Planète Choc, les séries sur Jimmy, l'Ile de la Tentation, les courses de
chevaux sur Equidia, les dessins animés sur Boomerang ou Canal J avec
mon fils, la chaîne Histoire et LCI. Je regarde beaucoup de DVD, aussi.
Ecrivain, ça vous va comme boulot ? Vous l'avez énormément désiré
("devenir écrivain") ? Est-ce que cela plaît aux femmes ? Vous recevez
les lettres d'amour, des photos?
Ce n'est pas un boulot. Dans le sens où ce n'est pas ça qui me fait vivre.
(Mais c'est un travail, ça oui, on peut le dire...)
Je ne sais pas si ça me va. C'est dur, quoi. Mais (sans vouloir me la jouer
artiste), je ne peux pas faire autrement. Si je n'écris pas, je me sens
comme un sportif qui ne fait pas de sport. Je me sens comme obligé,
disons.
Je ne l'ai pas désiré du tout, non. J'étais plutôt matheux, et je n'ai pas
lu un livre (à part à l'école) avant vingt ans. Ensuite c'est venu tout
seul, petit à petit – mais ce serait long à expliquer. Je n'ai jamais rêvé
d'être écrivain, en tout cas.
Ça plaît aux femmes, oui, bien sûr. Je reçois pas mal de courrier – des
mails, parce que je ne veux pas donner mon adresse, je suis sur liste
rouge, et mon adresse mail est indiquée sur le site consacré à mes
livres.
Avez vous des motivations politiques ou sociales? Un monde auquel
vous rêvez par exemple.
Aucune. Le monde dans lequel je vis me convient parfaitement. Et ce
n'est pas parce qu'il est comme il est maintenant, il me conviendrait
aussi bien il y a 50 ans ou dans un siècle. Il me convient parce que je vis
dedans.
Qu'est-ce qui vous occupe ces temps ci (soit quels sont vont
occupations et projets)?
Ce qui m'occupe ? Mon boulot (je bosse à Voici, deux nuits par semaine),
mon fils beaucoup, et je viens de commencer l'écriture d'un nouveau
roman, auquel je consacre cinq nuits par semaine. (Je travaillais depuis
un an sur autre chose, des centaines d'heures de travail, 230 pages, et je
viens de tout laisser tomber – c'était nul. Ça fout un coup.) J'ai un livre
qui sort le 9 novembre chez Scali – une longue nouvelle, 80 pages, avec
des dessins de Dupuy & Berberian – et je fais aussi des légendes pour de
très belles photos de Thierry Clech, un livre qui sortira en mars 2007.
Ces 230 pages, vous n'y reviendrez pas, vous ne pouvez pas écrire sur
deux romans à la fois ? Ca vous met un coup pourquoi, parce que vous y
avez passé du temps, ou parce que vous vous êtes attaché aux
personnages, vous avez l'impression de les laisser tomber?
Je n'y reviendrai pas, non, et non pas parce que je ne peux pas écrire
deux romans à la fois (enfin, je pense que j'aurais bien du mal à écrire
deux romans à la fois, c'est quand même un "investissement" fort, un
roman, une vraie plongée, mais je veux dire : ce n'est pas pour cela que
je n'y reviendrai pas), mais tout simplement parce que c'était nul.
Vraiment, ça ne marchait pas, ça n'aurait pas fait un bon livre. Si ça m'a
mis un coup, ce n'est pas par rapport aux personnages, non, je ne suis
pas comme ces auteurs qui prétendent que les personnages qu'ils ont
eux-mêmes inventés sont comme des amis, des êtres quasi-vivants (ils
se prennent quasi pour Dieu, ces auteurs-là, ça leur donne de
l'importance) : les personnages que je crée dans mes livres ne sont que
des mots, rien d'autre. (De toute façon, la plupart du temps, ce ne sont
pas des inventions, c'est moi, et des gens que je connais, donc en
laissant tomber le livre je ne les abandonne pas, ils sont toujours là.)
C'est un peu parce que j'y ai passé du temps, oui, bien sûr, ce n'est
jamais agréable de perdre un an de travail, et beaucoup d'énergie, de
votre commentaire
Pierre Le Pillouër
Pouvez vous d'abord me parler votre parcours. Est-ce que la
poésie y surgit à une période précise, est-ce qu'elle accompagne votre
jeunesse ?
Je me souviens très bien de mon premier choc poétique, je le dois à
un instituteur de CE2 dans une école communale de la Bresse
louhannaise, un type extrêmement violent qui finirait aujourd'hui en
tôle; une grande mèche noire rebelle qui volait lorsqu'il giflait ou
cognait le tableau, une voix qui tonnait et nous glaçait les genoux mais
on l'adorait parce qu'il était drôle et passionnant.
Un jour il nous a expliqué et fait apprendre Le dormeur du val, j'ai été
saisi par la musique et la chute de ce sonnet. Bien plus tard j'ai appris
que la très jolie femme de notre maître le trompait avec Monsieur le
sous-préfet (chut !). Plus tard à une époque où j'ai oublié la poésie
redécouverte en terminale avec les surréalistes.
Dix-sept ans et suis un lecteur paresseux, assez peu cultivé, les
anecdotes sur les poètes m’intéressent plus que leurs écrits : ceux-ci,
lus rapidement, surtout Eluard, ne sont que des déclencheurs de ma
propre écriture, automatique bien sûr avec un résultat affligeant et
j’envie les capacités de rêveur d’un Desnos, sa fin de héros dans les
camps, romantisme adolescent.
Suit 68 et une période où je lis davantage Marx, Lénine, Trotski et les
journaux, les magazines que les poètes.
Trous noirs, combats.
Lorsque je quitte le trotskisme, je suis attiré bien plus par Dada,
surtout les allemands, que par Breton qui fut certes proche du
trotskisme mais me parut à la fois trop Pape, dogmatique et
infaillible, et sous influence freudienne. J’ai plus de sympathie pour
Benjamin Péret dont j’achète les oeuvres complètes sans les lire
vraiment. Son personnage m’attire et son texte Le déshonneur des
poètes.
En 1980, à 30 ans, je retrouve le goût de lire et d'écrire, rencontre
Jacques Lepage et des poètes à Nice dont Daniel Biga et Maryline
Desbiolles, premières publications en revue : Tartalacreme, première
participation à une aventure de revue Poésie d'Ici (revue niçoise).
Maurice Nadeau publie une recension que je fais d'un livre de Prigent
dans le N° 444 de La Quinzaine Littéraire. En 1983, j'intègre le comité de
rédaction de la revue TXT dirigée par Christian Prigent qui publie
Sabots les abats, une plaquette puis mon premier vrai livre :
Pancrailles.
Je participe à de nombreuses lectures publiques en France et à
l'étranger.
Rencontres avec des artistes : Denis Castellas, Ben, Hubert Duprat,
Stéphane Bérard. Rencontre avec Nathalie Quintane.
Dix ans plus tard, dissolution du groupe TXT.
Traversée d'un désert. Pénible épreuve. 2001, je mets en ligne grâce à
une aide du CNL.
Sitaudis, le premier site de poésie comparative
avec le webmaster Emmanuel Olégine.
2002 Poèmes jetables éditions Le Bleu du ciel
2003, je suis coopté à la commission Poésie du CNL
j'en sors prochainement (mandat de 3 ans)
Décembre 2005 expérience importante de traduction à Berlin
grâce à Sabine Gunther et sa revue Nord-Sud Passages.
Est-ce qu'à vingt ans vous vouliez devenir poète? Quelles sont vos
perspectives professionnelles d'alors? De quelle manière envisagiezvous
votre avenir ? La poésie était-elle en marge de votre vie, ou bien
vous comptiez en vivre, matériellement comme spirituellement?
A 20 ans, en 1970, j'ai presque oublié la poésie. Restent une
angoisse, une rage, une révolte, un refus de la mort et du mortifère (je
confonds les deux), une posture post romantique, le goût de l'esclandre
(avec des copains étudiants on fait des happenings sans même savoir
que cela existe !)
Je quitte la voie royale des Lettres vers Normale Sup avant même
khâgne, en grande partie par paresse. Me dirige vers l'éducation
spécialisée, attirance pour la Marge mais sage.
Le militantisme me permet aussi de rencontrer de jeunes rebelles.
Comment à trente ans se fait la rencontre avec Jacques Lepage et
les poètes de Nice, puis celles qui vont suivre? Faites vous, à
l'époque, du pied pour intégrer un milieu? Comment votre entourage
(amis, famille) percevait vos relations, vous sentiez vous en marge de
votre milieu d'origine, de votre génération ?
A 30 ans :
Une période Délices de Capoue de 4 ans a suivi ma libération de
l'Organisation, de ses tâches et contraintes multiples : ai quitté le
Jura pour des rivages plus cléments, Antibes. Hédonisme mais anxieux.
En 1980 seulement, je me remets sérieusement à l'écriture, montre des
poèmes à une collègue psychologue qui les transmet à Jacques Lepage,
dont elle avait suivi un cours. Celui-ci me met en relation avec des
revues et des poètes impression d'un repêchage in extremis du pécheur
! Les niçois dont je me sens le plus proche sont Christian Arthaud,
Daniel Biga et...Ben qui est aussi artiste mais poète dont j'apprécie
l'audace, la passion du vrai, le sens du rythme et l'humour.
Il y a seulement 7 ans (je n'étais donc plus tout jeune), la mère de ma
belle-fille a dit à celle-ci après m'avoir rencontré chez moi : « C'est
bizarre Pierre, on dirait qu'il n'habite pas chez lui ».
Bien que je sois facilement empathique, épris d'autrui et prompt à
sauter au cou de tout être humain même difforme, je ne me sens en effet
chez moi nulle part, jamais en adéquation, sinon dans l'émotion
esthétique : livre, film, tableau, musique_ moments de grâce où je
m'oublie comme dans la relation (fusionnelle) de couple.
Considérez vous la poésie comme liée à cette inadéquation dont vous
parlez?
Oui l’inadéquation enclenche le désir d’écrire dans le but d’en quérirguérir
mais souvent ça rate, ça creuse encore davantage l’écart avec
l’expérience d’autrui (dans les deux sens de l’expression : l’expérience
que je fais d’autrui et l’expérience que fait autrui). Restent les amis
souvent dans le même état pas très quiet, les livres, leurs livres, les
croisements.
La poésie se nourrit-elle de la souffrance ou du malheur ?
Bonne question, je crois qu’elle se nourrit de tout, des questions et de
questions comme les vôtres, du désir de savoir, de la hantise du vide,
de l’envie de dominer, d’exister aussi aux antipodes et de celui de dire
merci.
Quand on vous demande ce que vous faites dans la vie, vous dites poète?
Non, c’est un mot qui me fait rougir. Il m’arrive de dire que j’écris mais
je préfère me penser comme un homme de mots, c’est-à-dire un lecteur
avant tout et un collecteur. J’écris dans les vides entre les livres.
Vous étiez attiré par la Marge, vous voulez parler de la rue, des
'clochards' ? Que reste-t-il aujourd’hui de vos engagements militants,
ou ceux qu'on qualifie aujourd'hui sociaux? Quel regard portez vous
aujourd'hui sur ces marges?
Je suis rémunéré comme responsable d’un service qui s’efforce de
favoriser l’intégration d’enfants handicapés mentaux ;
professionnellement donc, j’oeuvre à la marge. Quant au reste qui n’est
pas que regard, cela relève de la vie non publique, il faut tout de même
ajouter que je déteste la façon dont nous traitons les étrangers, les
pauvres et les vieux : comme des questions et des problèmes.
Internet et l'écriture
Est-ce qu'Internet va révolutionner la littérature?
Est-ce qu'Internet a changé votre manière d'écrire?
Pas assez de recul pour répondre. La grande différence me semble être
que cette technologie autorise le repentir : lorsqu’on écrivait quelque
chose dans un livre, c’était gravé pour l’éternité tandis que sur le
Web, les inhibitions sautent du fait de cette possibilité de tout
effacer ; d’autre part, les correspondances entre écrivains risquent de
disparaître dans les boîtes électroniques, en tout cas chez ceux qui
s’en foutent, c’est-à-dire assez souvent ceux qui compteront.
Ajoutons que cet outils renforce la croyance que nous sommes tous des
artistes et que tout est de l’art : plus de livres publiés, plus grande
difficulté de trier, de percevoir ce qui vaut vraiment le coup.
Sitaudis
Comment est né le projet Sitaudis?
Au terme d’un parcours où le groupe a joué un grand rôle (comité de
rédaction de la revue TXT de 1983 1993), j’ai traversé un désert
nécessaire.
Puis m’est revenu le désir de rencontres, je recevais des textes que
j’avais envie de faire circuler.
J’ai demandé et obtenu une aide du CNL et la collaboration d’un
webmaster remarquable, Emmanuel Olégine : un champion du
référencement.
Quels sont les projets du site?
Une montée en puissance de l’audience et de l’influence de sites tels
que celui-ci est prévisible, les grands journaux à suppléments
littéraires critiques, perdant chaque jour de nouveaux lecteurs ; ils
sont d’ailleurs très attentifs à ce que nous faisons : quant à savoir ce
que cet afflux de surfers va permettre ou induire, je n’en sais rien mais
je suis persuadé que le potentiel de découvreur des oeuvres est limité
dans tous les arts tant est longue, laborieuse et finalement assez
inutile, la formation nécessaire : le plafond est de 5000 abonnés dans le
monde.
Un projet sur le point de se réaliser, est la création de la rubrique
Célébrations :
une revitalisation de la tradition du Tombeau, un hommage rendu par
un poète à un grand Ancien.
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